Les débats sur l'intelligence artificielle sont souvent des débats sémantiques. L'intelligence artificielle n'est pas "loin d'exister", une intelligence artificielle générale est loin d'exister (les grand modèles de langage n’imitent pas encore suffisamment bien les raisonnements humains, et manquent en généralité), une intelligence artificielle qui fonctionne comme l'intelligence humaine, au lieu de juste l'imiter, est loin d'exister.
En revanche, il existe déjà plusieurs formes d'intelligences artificielles. Par exemple, les grands modèles de langage (LLMs) peuvent réaliser des tâches qui, jusqu'à récemment, nécessitaient une intelligence humaine (rédiger un essai pour défendre une thèse, résumer des contenus, critiquer, conseiller…)
En réalité, le débat porte sur la définition même de l'intelligence. Qu'est-ce qui permet de considérer une intelligence artificielle comme véritablement intelligente ? Ce débat remonte à l'époque de Turing. L'objectif est-il de créer une intelligence fonctionnant comme celle des humains, ou bien suffit-il que l'IA produise des résultats indiscernables de ceux d'un humain ? Pour Turing, c'est la seconde option qui importe. Peu importe que la machine "pense" comme un humain, tant qu'elle peut simuler des comportements intelligents. C'est l'essence de son article "Computing Machinery and Intelligence", dans lequel il propose le célèbre "jeu de l'imitation".
Le jeu de l'imitation, Alan Turing
Petite parenthèse : il est tragique que nous ayons perdu un penseur aussi brillant que Turing à seulement 41 ans à cause de l'absurdité des mœurs de l'époque. Je me demande souvent ce qu'il aurait pu encore accomplir. Pour rappel, Turing, c'est le décryptage du code Enigma, qui a raccourci la Seconde Guerre mondiale et sauvé des millions de vies ; La machine de Turing, fondement théorique de l'informatique moderne ; et bien sûr, le test de Turing, qui a longtemps guidé la recherche en intelligence artificielle.
Personnellement, je me range du côté de Turing. Il me semble vain de vouloir évaluer l'intelligence artificielle en fonction de critères purement humains. Les chercheurs qui s'acharnent sur cette approche finissent souvent dans une impasse. L'intelligence artificielle est différente, avec ses propres caractéristiques, et ne sera jamais totalement humaine. Ce qui compte, c'est le résultat : si une machine peut imiter l'intelligence humaine au point d'en être indiscernable, alors elle possède une forme d'intelligence artificielle.
Cessons d'anthropomorphiser les machines. Les réseaux de neurones en apprentissage profond, par exemple, ne fonctionnent pas comme les neurones des humains, et il est inutile d’essayer de forcer l’analogie.
Mon point est donc qu'il existe déjà des intelligences artificielles, certes primitives à bien des égards (elles peinent à raisonner, à généraliser, n'ont pas de modèle du monde et ont des difficultés à planifier), mais bien réelles. À nous d'en faire bon usage.